Quelle greffe pour reconstruire le LCA ?
Fixation et ligamentisation

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Rédigée par le Dr J. E. Perraudin, chirurgien orthopédiste

L’essentiel

La reconstruction du ligament croisé antérieur (LCA) consiste à glisser une greffe (ligamentoplastie) dans les tissus rompus restants [1] [2].

La greffe est un tendon, tissu aux caractéristiques proches d'un ligament. Plusieurs greffes sont disponibles : les tendons de la patte d'oie (DIDT ou DT4) et le tendon rotulien (TR) sont les plus utilisés.

La greffe est fixée à l'os par du matériel, le plus souvent résorbable : c'est la fixation primaire. Vient ensuite la fixation biologique de la greffe sur l'os, appelée fixation secondaire.

La partie intra-articulaire de la greffe va, petit à petit, se revasculariser (en plusieurs mois) et les fibres tendineuses vont se transformer en fibres ligamentaires : c'est la ligamentisation.

Cette ligamentisation entraîne une fragilité de la greffe pendant 7 à 8 mois, ce qui explique le délai à respecter avant la reprise des sports à pivot, qui sollicitent fortement le ligament croisé antérieur.

Les différents types de greffes

Les autogreffes

L'autogreffe est prélevée sur le patient lui-même.

(Les allogreffes)

Elles proviennent d'un autre être humain. Elles ne sont pas utilisées en France en première intention, sauf cas très particuliers (genoux multi-opérés). Rien n'est prélevé au patient, mais ces allogreffes sont plus fragiles.

(Les greffes synthétiques)

Elles ne sont plus utilisées, en raison d’un risque de rupture quasi-certain et de réactions inflammatoires (expérience des années 1985–1990). Des travaux de recherche se poursuivent sur des greffons synthétiques pour le futur.

Critères de choix d’une autogreffe

Propriétés biomécaniques

  • Qualités biomécaniques proches du ligament normal (résistance, souplesse, diamètre, longueur…)
  • Fixation initiale solide
  • Facile à prélever
  • Peu de conséquences au niveau du site de prélèvement
  • Ligamentisation de bonne qualité

En fonction du patient

L'activité et les sports pratiqués peuvent influencer le choix de la greffe, par exemple :

  • Chez les patients qui travaillent à genoux (douleurs fréquentes au contact du sol), on évitera de prélever le tendon rotulien.
  • Chez les pratiquants de water-polo (rôle important de ces tendons dans le rétro-pédalage, qui leur permet de rester « droits » dans l'eau), on évitera de prélever les ischio-jambiers.

Les tendons ischio-jambiers (DT ou DIDT)

Depuis l'apparition de systèmes de fixation adaptés, ils sont devenus la greffe la plus utilisée actuellement pour une reconstruction du LCA.

Les tendons ischio-jambiers utilisés sont le Droit Interne (DI) et le Demi-Tendineux (DT), d’où l’appellation DIDT.

Avantages du DIDT

  • Bonne solidité,
  • Possibilité de n'utiliser qu'un seul tendon, le Demi-Tendineux (DT), plié en 3 ou 4 (DT3 ou DT4),
  • Greffe « à la carte » : longueur et diamètre adaptables au genou,
  • Petite cicatrice.

Inconvénients du DIDT

  • Prélèvement parfois délicat,
  • Longueur et qualité variables, nécessitant une préparation soignée,
  • Hématome possible à l'arrière de la cuisse, avec ecchymoses plus ou moins nettes,
  • Perte de force en flexion (rétro-pédalage), récupérée par la rééducation.

Le prélèvement des tendons ischio-jambiers

Anatomie

Les muscles ischio-jambiers s'attachent derrière la cuisse sur un os du bassin, l’ischion. Ils passent en pont au-dessus des articulations de la hanche et du genou. Leurs tendons se fixent "patte d'oie", sur le tibia, sous le genou.

Dessin montrant les ischio-jambiers (muscle et tendon)
C'est au niveau de leur insertion tibiale (A), qu'ils sont prélevés avec le « stripper ».

Le stripper

Le prélèvement est réalisé avec un instrument appelé stripper, qui permet de ne faire qu'une petite cicatrice (environ 2 cm).

Le stripper permet de prélever le DIDT par une petite cicatrice
  • Le tendon est disséQUÉ et attrapé avec une pince,
  • Le stripper est posé sur le tendon,
  • Glissé sur le tendon vers le haut de la cuisse,
  • Détachant ainsi les fibres musculaires du tendon,
  • Le muscle se rétracte vers le haut,
  • Le tendon est extériorisé.
Le tendon est attrapé avec une pince

Un des intérêts de cette greffe est de pouvoir adapter diamètre et longueur de la greffe à la taille du genou.

J'utilise le DT3 + DI2, qui permet d'obtenir une greffe solide de 9 à 10 mm de diamètre pour une longueur d’environ 6,5 à 7,5 cm.

Les cicatrices

Un des avantages de cette greffe des tendons de la patte d'oie (DI–DT) est son côté esthétique, non négligeable, avec de petites cicatrices discrètes.

Cicatrices cutanées pour la reconstruction du LCA par greffe DIDT
Cicatrices cutanées pour la reconstruction du LCA par greffe DIDT

Le tendon rotulien (TR)

Utilisé dans l'intervention de Kenneth Jones (KJ), il fut longtemps le « gold standard » de la greffe, car sa fixation est simple et efficace.

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Avantages du TR

  • Facile à préparer,
  • Fixation « os-os » solide,
  • Souvent utilisé dans les reprises.

Inconvénients du TR

  • Perte de puissance de l'extension,
  • Risque de douleurs sur le site de prélèvement, nécessitant de la prudence dans la rééducation,
  • Risque de perte de flexion,
  • Douleurs au contact du sol, en s'agenouillant dans environ 16 % des cas.

Le tendon quadricipital (TQ)

  • Très bonne solidité,
  • Possibilité de prendre une petite baguette osseuse sur la rotule,
  • Bonne longueur et bon diamètre,
  • Souvent utilisé dans les reprises [3],
  • Peu de conséquences fonctionnelles en dehors de la cicatrice.
Coupe IRM du tendon quadricipital
Coupe IRM du tendon quadricipital
Dessin anatomique du tendon quadricipital
Dessin du prélèvement du tendon quadricipital

Le fascia lata

  • De petit diamètre, utilisé en intra et extra-articulaire, en première intention par quelques chirurgiens (opération de MacIntosh / MacFL),
  • Il est surtout utilisé pour les reprises,
  • Facile à prélever, mais nécessitant une grande cicatrice externe,
  • De petit diamètre, sa philosophie est différente, associant une plastie intra-articulaire qui remplace le LCA et une ténodèse externe,
  • Le fascia lata est souvent utilisé en extra-articulaire seul, dans la plastie anti-ressaut de Lemaire (ténodèse externe).

Quelle greffe en pratique ?

Une étude randomisée (KJ DIDT et TQ) montre des résultats similaires sur le plan de la laxité et des échecs, avec un léger avantage pour le tendon du droit antérieur sur le plan morbidité [4] [5] [6].

Le retour au sport au “niveau d’avant” à 2 ans : pas de différence majeure entre ischios et tendon rotulien ; la décision reste au cas par cas [7] [8].

Le choix dépend :

  • Du type de genou opéré (petit, grand),
  • De l’importance de la laxité,
  • De la présence ou non de fibres restantes du LCA (faisceau postéro-latéral),
  • Du type de sport pratiqué par le patient,
  • Des greffes déjà utilisées (en cas de reprise).

La greffe la plus pratique

La greffe la plus pratique pour une première intervention est l’autogreffe utilisant les ischio-jambiers (DT ou DIDT). Elle permet en plus de choisir son diamètre et sa longueur en fonction du genou : un ou deux tendons, pliés en deux, trois ou quatre.

Les autres greffes sont plutôt utilisées :

  • Si plusieurs ligaments sont rompus,
  • Lors des reprises en cas de rupture de la plastie (nouvel accident).

Elles peuvent être associées

  • Si la laxité est importante,
  • Si le ressaut est important,
  • En cas de reprise de ligamentoplastie.

L'association d'une ténodèse externe peut être réalisée en complément d'une greffe intra-articulaire de tendon rotulien ou de DIDT.

Fixation de la greffe

Fixation primaire de la greffe

La greffe tendineuse est d'abord maintenue en place par le système de fixation primaire utilisé par le chirurgien :

  • Endobutton fémoral,
  • Vis résorbable d'interférence tibiale.

C'est l'association la plus fréquemment utilisée.

Au niveau du tibia, je rajoute une seconde fixation : vis d'interférence résorbable d'une part, et fixation des fils de traction dans l'os par une petite ancre . Cette double fixation est très solide.

Fixation secondaire biologique

Des cellules (fibroblastes) envahissent l'espace entre tendon et os.

À trois semaines post-opératoires (J+3 semaines), de petits vaisseaux artério-veineux sont visibles. Parallèlement, les ostéoblastes se multiplient à la surface de la paroi osseuse.

À J+6 semaines, le nombre de vaisseaux sanguins diminue parallèlement à l'apparition d’os neuf et de fibres de collagène reliant le tendon à l'os (fibres de Sharpey).

À J+12 semaines, le tendon est pratiquement collé à l'os. Le matériel (Endobutton et vis) pourrait théoriquement être enlevé.

Des expériences ont montré qu'après trois mois, c'est la partie intra-articulaire de la greffe qui se rompt lorsque la traction est trop forte, et non plus la fixation osseuse.

Ligamentisation de la greffe

Le greffon est initialement un élément inerte, privé de sa vascularisation et de son innervation. Sa résistance de départ est suffisante pour se passer d'attelle et marcher prudemment. Dans un premier temps (fixation osseuse), il va se fixer à l'os en trois mois environ.

Ensuite, la partie intra-articulaire va subir un processus biologique de ligamentisation, qui va permettre au greffon tendineux de s'adapter à son nouveau rôle de ligament, en modifiant sa structure collagène pour se rapprocher de celle du ligament natif.

Le processus de ligamentisation

Il a été étudié (Shelbourne) et se déroule en quatre phases :

Phase 1 : colonisation cellulaire (2 premiers mois),
Phase 2 : remodelage collagénique (2 mois à 1 an) : activité fibroblastique et néovascularisation importantes, zones de dégénérescence,
Phase 3 : maturation (1 à 3 ans) : diminution des cellules et de la vascularisation, maturation des fibres collagéniques,
Phase 4 : quiescence : environ 3 ans après l'implantation, la greffe présente une véritable structure ligamentaire, comparable au LCA normal.

En pratique

Si le greffon est assez solide pour permettre une mobilisation et une marche précoces, il n’est compatible avec des contraintes en pivot qu'à partir du 7e mois post-opératoire, d'où l'intérêt d'attendre cette période pour commencer la réathlétisation et le travail proprioceptif intensif.

La greffe reste potentiellement fragile et la reprise des sports dépend de l'intensité des pivots : les sports sans contact (tennis, ski) peuvent souvent être repris autour du 8e mois, tandis que les sports « pivot-contact » ne devraient être repris qu'à partir du 11e mois par sécurité.

Il est bien sûr possible de reprendre plus tôt (protocoles de rééducation plus rapides), mais le risque de rupture est alors plus important. Je ne pense pas que prendre ce risque soit logique chez la plupart des patients.

Docteur J. E. Perraudin

Autres pages sur le ligament croisé antérieur

Références scientifiques (reconstruction du LCA par greffe)

  1. American Academy of Orthopaedic Surgeons (AAOS). Management of Anterior Cruciate Ligament Injuries – Evidence-Based Clinical Practice Guideline. 2022. PDF (AAOS) Points importants : recommandations “evidence-based” sur la prise en charge des lésions du LCA, facteurs de décision, et éléments sur le choix de greffe. ↩ retour au texte
  2. Brophy RH, Lowry KJ. American Academy of Orthopaedic Surgeons Clinical Practice Guideline Summary: Management of Anterior Cruciate Ligament Injuries. J Am Acad Orthop Surg. 2023;31(11):531-537. DOI : 10.5435/JAAOS-D-22-01020 PubMed Points importants : résumé pratique des recommandations AAOS (indications, options techniques). ↩ retour au texte
  3. Dai W, et al. Quadriceps Tendon Autograft Versus Bone-Patellar Tendon-Bone and Hamstring Tendon Autografts for Anterior Cruciate Ligament Reconstruction: A Systematic Review and Meta-analysis. Am J Sports Med. 2022. DOI : 10.1177/03635465211030259 PubMed Points importants : greffe au tendon quadricipital = résultats comparables (stabilité, scores) avec moins de morbidité de prélèvement dans plusieurs analyses. ↩ retour au texte
  4. White T, et al. Quadriceps, hamstring and patella tendon autografts for primary anterior cruciate ligament reconstruction demonstrate similar clinical outcomes, including graft failure, joint laxity and complications: a systematic review with meta-analysis of randomised controlled trials. Knee Surg Sports Traumatol Arthrosc. 2025. DOI : 10.1002/ksa.12755 PubMed ↩ retour au texte
  5. Raj S, et al. Quadriceps tendon versus hamstring tendon graft for primary anterior cruciate ligament reconstruction: A systematic review and meta-analysis of randomised trials. Knee. 2024;49:226-240. DOI : 10.1016/j.knee.2024.07.002 PubMed Points importants : QT vs ischio-jambiers (RCT) : scores et échecs proches à 2 ans ; tendance possible à moins de morbidité avec QT selon critères. ↩ retour au texte
  6. Gopinatth V, Tartibi S, Smith MV, Matava MJ, Brophy RH, Knapik DM. Long-term Results of Bone-Patellar Tendon-Bone Versus Hamstring Tendon Autograft for Primary Anterior Cruciate Ligament Reconstruction: A Meta-analysis of Randomized Controlled Trials. Orthop J Sports Med. 2025;13(4):23259671251330307. DOI : 10.1177/23259671251330307 PubMed Points importants : suivi long terme (≥10 ans) : BTB vs ischio-jambiers = résultats proches (rupture, scores) ; risque d’arthrose plus élevé que le genou sain, sans différence nette BTB/HT. ↩ retour au texte
  7. Bouju S, Lauritzen JB, Journé A, Jørgensen HL. Return to sports after anterior cruciate ligament surgery with hamstring or patella tendon autograft: a systematic review. Danish Medical Journal. 2024;71(7):A09230599. DOI : 10.61409/A09230599 PubMed Points importants : retour au sport “niveau d’avant” à 2 ans : pas de différence majeure entre ischios et tendon rotulien ; la décision reste au cas par cas. ↩ retour au texte
  8. Connors JP, et al. Return to Sport and Graft Failure Rates After Primary Anterior Cruciate Ligament Reconstruction With a Bone-Patellar Tendon-Bone Versus Hamstring Tendon Autograft: A Systematic Review and Meta-analysis. Am J Sports Med. 2025. DOI : 10.1177/03635465241295713 PubMed Points importants : RTS global ~80% ; environ la moitié revient au niveau pré-lésionnel ; taux de re-rupture global faible, sans différence majeure BTB vs HT dans cette synthèse. ↩ retour au texte